Chapitre IIUne lumière intense venue de nul part m’aveugla et un souffle me projeta par terre. Quand je rouvris mes yeux, je vis Claire allongée à côté de moi. Nous… nous étions dans notre lit ?
Ce n’était heureusement qu’un rêve ! Un cauchemar devais-je plutôt dire. J’émergeais encore tout abasourdi de mon songe. Des images défilaient dans ma tête. Elles n’avaient pas de sens, de la lumière, des cris, des rires, des gens... Je m’efforçais à me souvenir de mon rêve : je revoyais différents visages, rien de précis. Seule la « mort » de Claire était restée dans ma mémoire. Elle remarqua mon expression d’incompréhension.
- Qu’y a-t-il, s’exclama-t-elle. Tu fais une de ces têtes ! Un vrai p’tit hibou ! T’es trop mignon ? J’adore la tête que tu fais-là !
Elle me tira la langue, puis bondit hors du lit avec l’agilité d’un félin.
- Allez ! Faut se lever, me dit-elle. On a « foultitude » de choses à faire aujourd’hui !
A ses mots, j’eus alors une impression de déjà-vu, ou plutôt déjà-entendu. Ce n’était pas la première fois que j’entendais cette phrase. Un grand frisson envahit mon corps. Et si ce n’était pas qu’un simple rêve ? Et s’il s’agissait d’un rêve prémonitoire ? « Non, non, ce n’est pas possible... je n’y crois pas... ».
Je repensai à la soirée d’avant : nous avions regardé un téléfilm américain à deux balles. Ca parlait d’un tueur en série qui se faisait passer pour un auto-stoppeur. Une fois monté dans la voiture, il paralysait ses victimes avec un stun-gun, les tuait, puis les violait. Une particularité intéressante, le tueur mettait des préservatifs. L’histoire n’était pas mauvaise, mais le jeu des acteurs était tellement pourri que nous avions ri la moitié du film. L’autre moitié, nous avons regardé un autre programme. Sur la 5ème chaîne passait un téléfilm américain, tout aussi risible que le premier. Il s’agissait de pseudo-archéologues qui avaient réveillé la momie d’une prêtresse Inca, adoratrice des plaisirs charnels. Bien évidemment, ceux qui osaient profaner son tombeau étaient maudits. Ils étaient alors envahis par une désir irrésistible et incontrôlable de faire l’amour. Les dialogues étaient bon marché et peu variés, comme dans tous les films de ce genre. On pouvait facilement voir que les décors étaient en carton-pâte et que les actrices étaient siliconées. On pouvait imaginer un assistant avec des panneaux « aaaa », « oooo », « mmmm »,… Un grand fou rire nous fit éteindre la télé, tellement on n’en pouvait plus. En revanche, la malédiction de la prêtresse Inca nous avait apparemment également frappé…
Je me demandai si ce téléfilm n’avait pas quelque peu influencé mon rêve. Mon inquiétude partit aussi vite qu’elle était apparu. Je rejoignis Claire dans la salle de bain. En ramassant mon caleçon, je me souvins du film de la veille.
- Les slips kangourous dans un film érotique, ça le fait pas trop, dis-je à Claire.
- Tu m’étonnes ! Au moins, on peut voir que tous les américains ne sont pas obèses. Y en avait un qui n’était pas trop mal...
- Mouais, c’est cela oui… Bah, de toute façon, je suis le plus beau ! Gnniii !
Ce fut grâce à ce débat hautement philosophique que j’oubliai mon cauchemar, du moins pour un court instant. Nous terminâmes de manger vers 11h30. Nous devions aller à la fête annuelle de l’ancien quartier où habitait Claire. Nous y avions des stands de jeux à animer. Après avoir chargé la voiture de matériel divers, nous prîmes la route. Claire conduisait. Elle avait choisi de traverser la forêt qui séparait nos deux villes. Je n’avais plus pensé à mon étrange rêve jusqu’à ce que nous passions à l’endroit où elle avait été « tuée ». Je détournai la tête pour ne pas montrer mon inquiétude à Claire.
- Je venais souvent jouer ici quand j’étais petite, me dit Claire. Toi aussi, tu m’as dit ?
- Ah ! Euh… Oui… J’aimais bien me cacher vers dans ces arbres là. Enfin, à l’époque, ils étaient creux... Ils ont replanté des arbres...
- Mais alors, peut-être qu’on s’est déjà croisés ?
- Qui sait ?
Nous arrivâmes au quartier vers 12h15. La plupart des stands étaient prêts. M. Fernandez et son fils mangeaient en compagnie des Tang. Ceux-ci leur avaient donné des portions de riz cantonais, tandis que les Fernandez leur avaient donné des saucisses. Mme Cardinaux arrangeait des gâteaux sur une table. Sa fille, Julia et le fils des Tang, Huang, discutaient un peu à l’écart des stands. Nous continuâmes notre chemin, les bras chargés de matériel jusqu’à l’emplacement qui nous était réservé. Claire installa avec enthousiasme son jeu, tandis que je préparais mon poste plus calmement. Il s’agissait de pliages. Je disposai les modèles que j’avais fait la veille, ainsi les enfants pouvaient choisir ceux qu’ils avaient envie de faire. Claire alla acheter de quoi pique-niquer, tandis que j’allais acheter des rouleaux de printemps. Je profitai pour acheter une portion de riz cantonais.
Elle revint quelques minutes plus tard un journal à la main, chose qu’elle ne faisait pas d’habitude. La première page parlait d’agressions sur les routes du pays. Il s’agissait de groupes très organisés qui s’en prenaient aux conducteurs de voitures imprudents. Plusieurs cas, notamment dans notre région, avaient été signalés : soit ils se faisaient passer pour des auto-stoppeurs, soit ils faisaient semblant d’être en panne.
A ces mots, je me rendis compte que le rêve que j’avais fait la veille n’était peut-être pas qu’un simple rêve. Et s’il s’agissait d’une sorte d’avertissement ? J’en fis part à Claire.
- C’est étonnant, en effet, me dit-elle. Mais je pense que tu te fais du souci pour rien. Après tout, ce n’est qu’un rêve !
- Je sais, mais je n’avais pas entendu parler de ces histoires d’agressions avant de lire ton journal. Et cette forêt est un « bon » endroit pour ce genre d’agression. Pas une lumière, peu fréquentée la nuit...
- Peut-être… Tu proposes quoi ?
- J’sais pas… Je vais encore réfléchir cet après-midi. Enfin, si les enfants me le permettent ! En voilà qui s’approchent !
A peine avions-nous fini de manger que les premiers enfants arrivèrent à nos postes. Le jeu de Claire en intriguait plus d’un. Des panneaux colorés, des dessins partout et surtout une « girouette vivante » et un « perpétuel moulin à paroles » avaient de quoi les attirer. Ce fut ainsi que mon stand devint un secteur d’attente pour l’activité de mon amie. Toutefois, tout ceux qui me visitaient semblaient fort satisfaits. Il faut dire que mon « ornithorynque zébré » avait tout pour plaire ! Le petit Ming Tang fut un des seuls enfants capable d’en faire un tout seul. Il était particulièrement fier de son œuvre.
Nous passâmes toute l’après-midi à nous occuper des enfants du quartier. Nous ne pûmes même pas poursuivre notre discussion...
Le soleil s’était déjà couché quand je commençai à ranger mon stand. Mes doigts me faisaient un peu mal à force de plier ces bouts de papier. Machinalement, je rassemblais mes affaires en pensant à Claire. Une voix connue de me dit alors :
- Qu’est-ce qui ne va pas ?
- Ah ! Anne-Cat, c’est toi… Salut ! Non, non rien... J’ai juste mal dormi hier.
Anne-Catherine était une de mes meilleures amies. Nous étions allés à l’école ensemble jusqu’en école enfantine, puis nous avions été séparés suite à mon déménagement. Plus tard, à l’université, nous nous étions croisés par hasard et elle m’avait alors raconté qu’elle avait été amoureuse de moi étant petite. A ce moment, j’étais déjà avec Claire et je considérais Anne-Cat comme une amie. Pendant un ou deux ans, nous étions tous les trois inséparables.
Peu de temps après, Anne Catherine dût interrompre ses études pour cause de grossesse. Elle se maria rapidement avec son copain, Christian. Ce dernier était policier et ...
« Voilà ! La solution ! » pensai-je.
- Euh… Dis-moi Anne-Cat, ton mari est par là ?
- Non, il travaille encore... Mais il vient ce soir pour le bal... Pourquoi tu me poses cette question ?
- J’ai un petit service à lui demander...
- Ah ok ! On se voit tout à l’heure ? Tu n’oublieras pas de me réserver une danse, hein ?
Durant nos études, nous avions suivi des cours de danses à l’université. Claire et elle m’avaient quelque peu forcé la main. Finalement, ça m’avait tellement plu que je sautais sur toutes les occasions pour aller danser.
Un peu plus loin, je vis Claire en train de ranger son poste. Je décidai alors d’aller chercher une salade chinoise pour accompagner le riz cantonais que Madame Tang m’avait offert : son fils avait apparemment été tellement enthousiaste que sa mère m’a donné trois portions de riz cantonais. Puis, je me rendis vers Claire pour l’aider. Elle l’avait l’air fatiguée, mais gardait son petit sourire du coup des lèvres. C’était cette constante bonne humeur qui m’avait fait craquer. Quelque fût la situation, elle gardait son optimisme. La seule fois que j’avais vu pleurer, c’était lors du décès de la fille de son voisin âgée seulement de 6 ans. La pauvre fillette avait eu trois chimiothérapies pour son cancer du rein. Elle n’avait malheureusement pas survécu à la troisième...
- Tu veux rentrer, lui dis-je ?
- Non, ça va… je sais à quel point tu aimes danser… Laisse-moi juste me reposer un moment, mmh ?
C’est alors que la chanson « Reality » passa. Je n’eus alors plus aucun doute sur la suite des évènements ! J’attendis avec impatience l’arrivée de Christian, puis lui expliquai, ainsi qu’à Anne-Catherine mon malaise. Cette dernière prit l’affaire très au sérieux et m’aida même à convaincre Christian de se rendre avec des collègues dans la forêt...
Le cœur léger, je rejoignis Claire et nous passâmes la soirée à danser tendrement enlacés, tandis que les couples de formaient ici et là sur la piste de danse. Nous restâmes finalement plus longtemps que prévu. Par curiosité, je décidai de passer par la « forêt ». Quelle fût ma surprise quand je vis des gyrophares illuminer les bois : il y avait une ambulance, ainsi que deux voitures de police. Christian nous aperçus et s’approcha de notre voiture. Il nous expliqua qu’un des deux malfaiteurs avait été abattu et qu’il n’y avait pas eu de dommages du côté policier.
- Incroyable, ton histoire, vraiment !! Faudra que tu écrives un livre un jour ! Allez bonne nuit à vous deux et faites attention sur les routes !
- Merci bonne nuit à toi aussi.
- Euh… Qu’est-ce qu’il a voulu dire Christian ?
- Non, rien… Une histoire entre mecs...
Je ne voulais pas qu’elle sache. Pas encore... Nous rentrâmes rapidement à l’appartement et nous effondrâmes lourdement sur le lit. Quelle journée avions-nous eu ! Terrible et fatigante. Au moins, elle était vivante...
* * * * *
Le lendemain, je me levai de bonne heure pour aller acheter des croissants. Claire, quant à elle, dormait encore paisiblement. Je repensai à ce qui s’était passé la veille. « C’est vraiment dingue ! Heureusement que tout ça se termine bien ». Je sortis de l’immeuble et pris la direction de la boulangerie du quartier. Etrangement, il y avait énormément de vent ce matin-là : des feuilles virevoltaient ici et là, des sacs plastiques étaient ballottés dans tous les sens, une bouteille en PET roula à mes pieds... Tout à coup, il y une rafale de vent. Je reçus alors de la poussière dans les yeux. Je m’arrêtai pour me les frotter quand je sentis un choc violent sur la tête, puis j’entendis un bruit de verre cassé sur le sol. Je sombrai alors dans l’inconscience...
* * * * *
- Quelqu’un a appelé une ambulance ?
- Oui, oui… Elle arrive ! Comment va-t-il ?
- Oh mon Dieu, le malheureux !!! Sa tête...
- Eh ho, Monsieur, vous m’entendez-vous ? Réveillez-vous !
- Attention de ne pas bouger sa nuque...
- Je sais, je sais... Il ne répond pas... Non... Je ne sens pas de pouls... Merde, il ne respire plus… Qu’est-ce qu’elle fiche cette putain d’ambulance ?!?
* * * * *
- Quel âge, il avait ? 23 ou 24 ? 25 ans à tout casser ? C’est vraiment moche... Décès constaté à 10h36... Cause du décès, hémorragie cérébrale suite à un traumatisme crânien...